Ewa Lenart \textbf{Les enjeux de l'enseignement/apprentissage des langues étrangères à l'école primaire} Depuis les trente dernières années, on observe un engouement pour introduire l'enseignement des langues étrangères aux jeunes enfants dès l'école élémentaire (Enever 2011, Muñoz 2006, Nikolov et Mihaljevic Djigunovic 2011). Le nombre de langues proposées augmente, même si l'anglais assure son hégémonie, et l'âge du début de l'apprentissage diminue, suivant l'idée largement répandue \emph{the earlier, the better}. De plus en plus de pays européens, notamment la France, introduisent cet enseignement dès le début de la scolarité obligatoire, c'est-à-dire à l'âge de six ans environ (Muñoz 2014, Mourão \& Lourenço 2015). Les décisions en matière de politiques linguistiques et éducatives dans ce domaine ont été influencées par les résultats de recherches en acquisition des langues et en neurosciences (Enever 2015). Cependant, ces recherches concernent souvent des contextes immersifs où le nombre d'\emph{input} et sa qualité ne peuvent être comparés à la classe de langue avec une heure et demie (en moyenne) de cours de langue par semaine. De plus, le nombre d'élèves par classe, le curriculum (les programmes) diffèrent, selon le contexte, et le facteur de l'âge n'est qu'une variable parmi d'autres, comme les caractéristiques individuelles des apprenants, leur conscience métalinguistique et inter-linguistique, le type d'enseignement proposé (cf. Murphy 2014, par exemple) pour caractériser la classe de langue à l'école primaire. Dans cette communication, nous présenterons différents points de vues sur l'enseignement/apprentissage «~précoce~» des langues et donnerons quelques résultats d'études issues du projet \emph{PARI Primaire} sur l'apprentissage de l'anglais à l'école primaire (cf. Hilton, Lenart et Zoghlami 2016). \emph{\textbf{Références}} Enever, J. (ed.) (2011). \emph{ELLiE: Early Language Learning in Europe}. London~: British Council. Enever, J. (2015). The advantages and disadvantages of English as a foreign language with young learners. In Bland, J. (ed.). \emph{Teaching English to Young Learners: Critical Issues in Language Teaching with 3-12 Year Olds}. London: Bloomsbury Publishing, 51-70. Hilton, H., Lenart, E. \& Zoghlami, N. (2016). Compréhension et production en anglais L2 à l'école primaire. \emph{Revue française de linguistique appliquée} 2 vol. XXI, 65-80. Mourão, S. \& Lourenço, M. (eds) (2015). \emph{Early Years Second Language Education: International Perspectives on Theory and Practice}. New York: Routledge. Muñoz, C. (ed.) (2006). \emph{Age and the Rate of Foreign Language Learning}. Clevedon: Multilingual Matters.~ Muñoz, C. (2014). The interaction of L1 timing, onset age and input in second/foreign language acquisition.\emph{~Linguistic Approaches to Bilingualism},~4/3, 368-372. Murphy, V.A. (2014). \emph{Second Language Learning in the Early School Years. Trends and Contexts}. Oxford: Oxford University Press. Nikolov, M. \& Mihaljevic Djigunovic, J. (2011). All shades of every color: An overview of early teaching and learning of foreign languages. \emph{Annual Review of Applied Linguistics} 3, 95-119. Maria HELLERSTEDT \textbf{Se mettre en position pour apprendre le suédois. } Apprendre une langue étrangère implique parfois un changement de vision du monde. En effet, le francophone qui apprend le suédois doit prendre en compte les orientations des objets et des êtres vivants afin de pouvoir parler de leur emplacement, car ce concept est encodé en majorité par des verbes de position (\emph{sitta} « être assis », \emph{ligga} « être couché », \emph{stå} « être debout »). Plusieurs études antérieures ont montré que l'acquisition de ces verbes pose un problème aux apprenants du suédois langue étrangère (Viberg, 1985, 1998 ; Hellerstedt, 2013). Enseignante de suédois aux étudiants francophones, notre souci est donc d'élaborer une méthode afin d'augmenter la compréhension pour la sémantique complexe de ces verbes et de faciliter leur acquisition. Une étude pilote a été conduite mesurant la production écrite des étudiants avant, juste après et plusieurs mois après un enseignement détaillé et ciblé, dont les résultats seront présentés dans cette communication. Hellerstedt, M. 2013. \emph{L'utilisation et l'acquisition des verbes de position en suédois L1 et L2,} Thèse de doctorat, Université de Paris 4. Viberg, Å. 1985. "Lexikal andraspråksinlärning. Hur polsk-, spansk-och finskspråkiga lär in svenskans placerarverb." {[}Acquisition lexicale dans une deuxième langue. La manière dont les verbes de placement suédois sont appris par les polonophones, les hispanophones et les finnophones{]}In: Viberg, Å \& Axelsson, M. \emph{SUM-rapport 2.} Stockholm : Stockholm university. 5-91. Viberg, Å. 1998. "Crosslinguistic perspectives on lexical acquisition: the case of language-specific semantic differentiation."In : Haastrup, K. \& Viberg, Å. (éds.). \emph{Perspectives on lexical acquisition in a second language. Travaux de l'institut de linguistique de Lund} 38. Lund : Lund university press. 175-208. *** Stéphanie GOBET~: \textbf{« Les erreurs référentielles dans les écrits d'enfants sourds : L2 ou système culturel} » Notre propos porte sur l'analyse du mouvement référentiel à partir de textes écrits par des enfants sourds. Après avoir présenté succinctement le rapport de l'enfant sourd à l'écrit et les raisons pour lesquelles ce dernier est à considérer comme FLE (Français Langue Étrangère) voire FLS (Français Langue Seconde), nous expliquerons les spécificités structurelles des LS. ~Notre communication se poursuivra par la description du protocole et les résultats obtenus suite à l'analyse des formes linguistiques pour les fonctions d'introduction, de maintien et de réintroduction du référent en position de sujet. Durant de nombreuses années, l'enfant sourd a été considéré comme un non-entendant et non comme un locuteur d'une langue différente. En 1985, le rapport Gillot constate que 80\% des personnes sourdes seraient illettrées. Différents chercheurs (Cuxac, 2000, Jacob, 2001) vont alors établir que ce pourcentage est la conséquence des méthodes d'apprentissage du français écrit, enseigné alors comme Langue 1. L'apprentissage de l'écriture représente une difficulté importante dans le développement de l'enfant sourd dont la surdité est sévère ou profonde. Pour cette population dont la langue est atypique, l'écrit est dorénavant perçu comme une langue seconde et son apprentissage diffère de celui des enfants entendants, le déficit auditif ne permettant pas un apprentissage basé sur le feed-back auditif. Notre corpus est composé de textes écrits recueilli auprès de 20 enfants sourds sévères ou profonds dont la surdité est prélinguale (10 enfants en classe de CM1, 10 enfants en classe de CM2), et qui sont scolarisés dans un établissement suivant les objectifs du Bulletin Officiel pour le français écrit L1. Nous avons travaillé sur deux types de textes: des narrations personnelles et des textes expositifs. Le protocole, emprunté au projet Spencer dont le thème principal est l'aspect développemental de la littéracie chez les enfants et les adultes dans plusieurs langues. Son objectif est d'étudier les variations d'un texte aux niveaux macrostructure et microstructure. Les textes étudiés ont été segmentés en clause afin d'extraire les formes suivantes : introduction, maintien, promotion et réintroduction du protagoniste. Les résultats obtenus ont été comparés avec ceux d'enfants entendants. Bien que nous constations un développement du système référentiel entre les enfants sourds en classe de CM1 et les enfants sourds en classe de CM2, il apparaît une grande disparité entre les enfants entendants et les enfants sourds. Par exemple, les enfants sourds, dans le cas du maintien de la référence, emploient principalement un pronom conjoint (32\% dans les textes narratifs et 44\% dans les textes expositifs contre 79\% dans les textes narratifs des enfants entendants et 19\% dans les textes expositifs de ces mêmes enfants). Le résultat le plus significatif est l'absence de formes référentielles dans les textes des enfants sourds, quel que soit le type de texte. Exemple : 2 : nous faire groupe 3 : qui faire dessins 4 : et écrire dessins. L'emploi des différentes formes linguistiques et l'absence de formes relèvent-ils d'un système autonome ou ne serait-ce pas la manifestation de variations linguistiques fréquentes chez les apprenants L2 ? \textbf{Bibliographie} Charrow, V.R. (1981). The written english of deaf adolescents, In Writting: The nature, development and teaching of written communication, Whiteman, M.F, pp. 179-187, Hillsdale, ErlbaumCuxac, C. (2000) : \emph{La Langue des Signes Française; les Voies de l'Iconicité}, Faits de Langues n°15-16, Paris: Ophrys. Dubuisson, C. \& Nadeau, M. (1994). Analyse de la performance en français écrit des apprenants sourds oralistes et gestuels, In Revue de l'association canadienne de linguistique appliquée (ACLA), Vol. 16, n°1 Dubuisson, C. \& Daigle, D. (1998). Lecture, écriture et surdité : visions actuelles et nouvelles perspectives, ed. Logiques, Montréal. Jacob, S. (2001). L'écrit chez les enfants sourds : étude de la cohésion référentielle, Mémoire de DEA, Université Lumière Lyon 2. Lacerte, L. (1988). La langue des signes québécoise et le français : difficulté à l'écrit chez la personne sourde, Mémoire de Maîtrise, Université du Québec, Montréal. Freiderikos VALETOPOULOS \textbf{L'emploi de \emph{donc} dans un corpus écrit d'apprenants de FLE} Dans le cadre de cette communication, nous nous proposons d'analyser l'emploi de la forme \emph{donc} dans un corpus écrit d'apprenants. Après une brève présentation de la littérature concernant la fonction de \emph{donc} dans les productions des natifs, nous étudierons les fonctions que ce marqueur assume dans un corpus d'apprenants de niveau intermédiaire. Ces observations seront mises en perspective par rapport à ce qui est présenté dans les manuels FLE. Le marqueur discursif \emph{donc} semble avoir un statut plurifonctionnel en situation de discours. Comme l'ont déjà démontré Bolly et Degand (2009: 28), \emph{donc} « peut, au-delà de son emploi conséquentiel, remplir des fonctions de nature plus discursives telles que la récapitulation, la reformulation et/ou explicitation, la transition participative et la structuration conceptuelle». Nous nous posons alors la question de savoir si ces usages observés dans le discours des locuteurs natifs se reflètent dans les écrits des apprenants du français langue étrangère. Notre étude se concentrera sur deux corpus différents: le corpus CFLE qui contient des productions d'apprenants qui vivent en France et qui apprennent le français, en milieu endolingue, dans un établissement francophone, et le corpus Hellas-FLE avec des productions d'apprenants qui vivent et qui apprennent le français en milieu exolingue. Bolly, C. ; Degand, L. (2009). Quelle(s) fonction(s) pour "donc" en français oral ? : Du connecteur conséquentiel au marqueur de structuration du discours. \emph{Lingvisticae Investigationes}, 32/1, 1-32. Bouchard, R. (2002). \emph{Alors, donc, mais}..., « particules énonciatives » et / ou« connecteurs »: Quelques considérations sur leur emploi et leur acquisition. \emph{Syntaxe et sémantique}, 3(1), 63-73. Doi :10.3917/ss.003.0063. Hansen, M. (1997). `Alors' and `donc' in spoken French : a reanalysis. \emph{Journal of Pragmatics}, 28--2, 153--187 Rossari, C.; Jayez, J. (1997). Connecteurs de conséquence et portée sémantique. \emph{Cahiers de linguistique française}, 19, 233--265. Rossari, C.; Jayez, J.. (1996). Donc et les consécutifs. Des systèmes de contraintes différentiels. \emph{Linguisticae Investigationes} XX-1, 117--143. Zénone, A. (1982). La consécution sans contradiction : donc, par conséquent, alors, ainsi, aussi (1epartie). \emph{Cahiers de linguistique française}, 4, 107--141. Zénone, A. (1983). La consécution sans contradiction : donc, par conséquent, alors, ainsi, aussi (2epartie). \emph{Cahiers de linguistique française}, 5, 189--214. Danh Thành DO HURINVILLE \textbf{Du nom (\emph{limite}) et de l'adjectif (\emph{juste}) aux MD à l'oral : \emph{Limite}, c'est \emph{juste} sublimissime !} Après avoir brièvement rappelé que \emph{limite} est un nom (emprunté au latin \emph{limes}, \emph{limitis}, XIVe siècle : « \emph{Limite} d'une ville ») et que \emph{juste} est un adjectif (issu du latin \emph{justus}, XIIe siècle : « Il faut être \emph{juste} avant d'être généreux »), cette communication a pour objectif de retracer l'évolution de ces deux lexèmes vers un emploi grammatical (« Une personne anti-bling bling \emph{limite} austère » et « Le café est \emph{juste} chaud »),puis d'examiner leur emploi comme des MD (ou pragmatèmes) utilisés exclusivement à l'oral (« \emph{Limite}, ce film est \emph{juste} génialissime ! » ou « Ce film est \emph{juste} génialissime, \emph{limite} ! »). Dans ces exemples, limite pouvant être placé aussi bien en début qu'en fin d'énoncé, se comporte comme un MD, alors que \emph{juste} fonctionne comme un adverbe d'attitude énonciative émettant le point de vue du locuteur vis-à-vis de l'énoncé et de l'allocutaire, pouvant être assimilé à un MD. Rappelons que les lexèmes (noms, verbes, adjectifs) et les grammèmes (adverbes, marqueurs aspectuels, prépositions, conjonctions), participant au contenu propositionnel de l'énoncé, assumant tous les deux des rôles intraphrastiques, peuvent être utilisés aussi bien à l'écrit qu'à l'oral, tandis que les pragmatèmes (marqueurs discursifs, interjections) ne participant pas au contenu de l'énoncé, jouent des rôles sur le plan macro-textuel et remplissent des fonctions pragma-sémantiques qui consistent notamment à lier des actes illocutoires, à réaliser des actes illocutoires, ou à manifester son écoute. Par conséquent, leur rôle se situe, non pas sur le plan référentiel (c'est le rôle des lexèmes et des grammèmes), mais sur le plan communicatif. Les pragmatèmes ne fusionnent pas avec les autres constituants des énoncés : ils sont séparés par une virgule à l'écrit ou par une pause à l'oral (leur portée étant extraphrastique, sur l'ensemble de l'énoncé) ; ils ne suivent donc pas la même courbe prosodique que le reste de l'énoncé. Examinons maintenant deux parcours illustrés respectivement par \emph{limite} et par \emph{juste}, qui se comportent de nos jours comme des MD à l'oral. \textbf{1/ De la locution pragmatique à la limite au MD \emph{limite} } \begin{quote} (1) \emph{~\textbf{À la limite}, ce film est juste génialissime ! (oral)} (2) ~\emph{Ce film est juste génialissime, \textbf{à la limite} ! (oral)} (3) \emph{~\textbf{Limite}, ce film est juste génialissime ! (oral)} (4) ~\emph{Ce film est juste génialissime, \textbf{limite} ! (oral)} Si la locution \emph{à la limite} suivie ou précédée d'une proposition (ex. 1 et 2), signifiant « à la rigueur, au pire des cas », relevant de la modalité d'énonciation, instaurant une relation entre le locuteur et l'allocutaire, est une forme complète enregistrée depuis longtemps dans les dictionnaires, \emph{limite} suivi ou précédé également d'une proposition (ex. 3 et 4) est une forme tronquée, qui n'est utilisée qu'à l'oral et n'est encore reconnue par aucun dictionnaire. Dans ce contexte, \emph{limite}, qui remplace la locution pragmatique \emph{à la limite}, se comporte comme un MD pouvant être placé aussi bien en début qu'en fin d'énoncé. \end{quote} \textbf{2/ \emph{Juste}, de l'adverbe de verbe à l'adverbe d'attitude énonciative (à double modalisation)} (5a) Le café est \textbf{Ø} chaud. (5b) Le café est \textbf{très} chaud. (5c) Le café est \textbf{juste} chaud. (6a) Ce film est \textbf{Ø} génial (magnifique, merveilleux, sublime, formidable) ! (6b) Ce film est *\textbf{très} génial (magnifique, merveilleux, sublime, formidable) ! (6c) Ce film est \textbf{juste} génial (magnifique, merveilleux, sublime, formidable) ! Dans les exemples ci-dessus, le fonctionnement et l'interprétation de \emph{juste} sont différents, selon que cet adverbe est antéposé à des adjectifs gradables comme \emph{chaud} en (5c), ou à des adjectifs intensifs (exprimant un très haut degré) comme \emph{génial, magnifique, merveilleux, sublime, formidable} en (6c). Lorsque \emph{juste} est antéposé aux adjectifs gradables, il fonctionne comme un adverbe de verbe, signifiant, d'après le PRLF, «restriction» ou «manière trop stricte», et ne porte que sur ces adjectifs gradables dont il module l'intensité. Dans (5a), le locuteur ne fait qu'asserter un état : « être chaud », tandis que dans (5b), celui-ci est modulé par l'adverbe de degré \emph{très}. Dans (5c), cet état directement modulé par \emph{juste} se situe à peine en dessous de celui sans \emph{juste} en (5a). Observons maintenant (6a), (6b) et (6c). Lorsque \emph{juste} est antéposé aux adjectifs intensifs en (6c), il fonctionne comme un adverbe d'attitude énonciative, à double modalisation, sur l'adjectif et sur l'énonciation comme suit : \begin{enumerate} \def\labelenumi{(\roman{enumi})} \item Modalisation sur l'adjectif superlatif de l'énoncé : \emph{juste} met en relief l'intensité inhérente à cet adjectif. Il s'agit donc d'un effet de loupe sur celui-ci (ou effet « hyperbolique », cf. Salvan, 2015). \item Modalisation sur l'énonciation : le locuteur souligne la justesse et la pertinence de la sélection de cet adjectif. \end{enumerate} Les adjectifs dans (6c), tous sémantiquement intensifs, n'ont besoin d'être modulés par aucun adverbe de degré, ce qui explique la non-recevabilité de \emph{très} dans (6b). En recourant à (6c), le locuteur envoie un message subliminal, incitant l'allocutaire à accepter son jugement, ce qui n'est pas le cas de l'énoncé sans \emph{juste} dans (6a). Avec ces adjectifs, le locuteur empêche, par anticipation, l'allocutaire de contester ce choix judicieux : le locuteur fait comprendre qu'il n'exagère pas car il estime être dans la juste mesure. Ce recours à \emph{juste} est donc interprété comme un emploi \textbf{métalinguistique}, permettant au locuteur d'émettre un jugement à l'égard de l'allocutaire. On peut dire par ailleurs que \emph{juste} est un marqueur de strict centrage portant sur la valeur haute retenue (représentée par un adjectif intensif) excluant de retenir d'autres valeurs plus faibles, et qu'il peut fonctionner comme un marqueur de focalisation en engendrant un effet de loupe, ou effet emphatique, ou effet « hyperbolique », sur l'adjectif intensif sélectionné. C'est dans (6c) que \emph{juste} en tant qu'adverbe d'attitude énonciative peut fonctionner comme un pragmatème ou un MD. Le comportement de \emph{limite} et de \emph{juste} semble illustrer le point de vue de Dostie et Pusch (2007), qui soulignent que les MD (ou pragmatèmes), compte tenu de leurs caractères « éminemment oraux », « doivent être envisagés dans un tout autre cadre, celui de la langue orale, où la coprésence de l'interlocuteur influence la façon dont le locuteur construit son discours », et qu'«ils apparaissent à des endroits stratégiques et contribuent à rendre efficaces les échanges conversationnels, ainsi qu'à aider l'interlocuteur à décoder la façon dont le locuteur conçoit le sens purement propositionnel exprimé et se positionne par rapport à celui-ci ». \textbf{Bibliographie~: } Do-Hurinville D. T., 2018, « \emph{Juste}, de l'adjectif à l'adverbe d'énonciation, une unité juste transcatégorielle », in Céline Vaguer (éds), Mélanges offerts à Danielle Leeman, \emph{Quand les formes prennent sens. Grammaire, prépositions, constructions, système}, Paris, Lambert Lucas, pp. 235-246. Do-Hurinville D. T. \& Dao H. L., 2016, « La transcatégorialité. Une histoire de \emph{limite} sans limite », \emph{Bulletin de la Société de linguistique de Paris} 111, 1, pp. 157-211. Dostie G., 2004, \emph{Pragmaticalisation et marqueurs discursifs. Analyse sémantique et traitement lexicographique}, Bruxelles, De Boeck, Duculot. Dostie G. \& Pusch C. D., 2007, « Présentation : les marqueurs discursifs », in \emph{Les marqueurs discursifs}, G. Dostie \& C. Pusch (éds.), \emph{Langue française} 154, pp. 3-12. Leeman D., 2004, « L'emploi de \emph{juste} comme adverbe d'énonciation », \emph{Langue française} 142, pp.17-30. Salvan G., 2014, « \emph{Juste la fin du monde}. L'excès juste, ou l'hyperbole exagère-t-elle toujours ? », \emph{Travaux neuchâtelois de linguistique} (TRANEL) 61/62, pp.63-78. Jeanne VIGNERON-BOSBACH Jeanne Vigneron-Bosbach Crisco - Forellis Université de Caen Normandie \textbf{\emph{Genre}, du nom au marqueur : état d'un parcours} \emph{Genre} fait partie des mots de la langue française qui ont subi un changement linguistique, puisque des emplois très divers coexistent en synchronie. Il s'agit en effet d'un terme qui peut apparaître aussi bien comme nom tête d'un syntagme nominal comme en (1) ou en (2), comme marqueur de reformulation comme en (3), ou comme introducteur de discours direct comme en (4) : \emph{(1) Toutes les roses appartiennent au \textbf{genre} rosa. » ~(Le Petit Robert, 2010).} \emph{(2) donc euh j'suis rentrée à l'école normale des Batignolles pour un an et puis après j'suis partie euh:: passer {[}...{]} j'suis \textbf{l'genre de} fille: qu'a fait un + une fin d'étude à dix-huit ans et demi quoi(oral, CFPP, 11-02)} \emph{(3) non mais je s- j'me rappelle plus mais c'est vrai que ça a été enfin j'trouve que c'était jeune enfin dès dès la troisième dès début troisième non moi c'était beaucoup plus tard \textbf{genre} première quelque chose comme ça + + (mh) (oral, CFPP, 11 04 spk2)} \emph{(4) je lui ai bien dit les trucs euh hyper euh \textbar{} secs euh \textbf{genre} moi j'ai plus aucun sentiment pour toi c'est terminé euh (oral, OFROM, unine08-vwa)} En (1) et (2), \emph{genre} se comporte encore morpho-syntaxiquement comme un nom. En (3) et (4) en revanche, il est difficilement associable à la catégorie nominale, puisqu'il ne peut pas être porteur d'une détermination ni modifié par un adjectif, ni porter un morphème de pluriel : (2)a. *c'était beaucoup plus tard \textbf{un/le genre} première quelque chose comme ça (2)b. *c'était beaucoup plus tard \textbf{genre} lycéen première quelque chose comme ça (2)c. *c'était beaucoup plus tard \textbf{genres} première quelque chose comme ça Ces emplois sont surtout présents dans des productions orales présentant un faible degré de planification, et sont plus récents comme le montre ce tableau comparatif entre le corpus ESLO 1(1969-1974) et ESLO 2 (2014) : \begin{longtable}[]{@{}llll@{}} \toprule & Nombre total d'occurrences de \emph{genre} & Nombre d'occurrences de \emph{genre} grammaticalisé & Genre grammaticalisé, en pourcentage\tabularnewline \midrule \endhead ESLO1 & 826 & 46 & 5,6 \%\tabularnewline ESLO2 & 423 & 213 & 50,4 \%\tabularnewline \bottomrule \end{longtable} Tableau: Comparaison du nombre d'occurrences de genre dans ESLO1 et ESLO2 Nous pensons, à la suite de Rosier (2002), que \emph{genre} a subi un processus de grammaticalisation. Ce processus est défini comme suit par Marchello-Nizia (elle mentionne d'ailleurs le cas de \emph{genre}) : \begin{quote} On nomme 'grammaticalisation' un type de changement linguistique très répandu dans toutes les langues du monde. On a coutume, dès l'origine, de le décrire par un résultat : c'est le processus par lequel des lexèmes deviennent des morphèmes. Ces nouvelles unités grammaticales servent soit à coder des relations qui n'étaient pas codées grammaticalement auparavant, soit qui l'étaient mais différemment (...). {[}...{]}d'autres phénomènes tels que l'apparition de l'article défini dans une langue qui ne le possédait pas, ou l'introduction d'un morphème tel que \emph{genre} (qui peut construire un nom, un adjectif, ou même une proposition en français actuel) sont des exemples de codage de relations qui n'étaient pas exprimées grammaticalement jusqu'alors. (Marchello-Nizia, 2009 : 15) \end{quote} En tant que nom, il est un bon candidat à la grammaticalisation puisqu'on part d'une unité source lexicale pour aller vers une unité cible grammaticale. Afin d'appréhender cette évolution, nous avons observé son comportement à travers ses emplois dans des corpus de français parlé présentant un faible degré de planification. Ces corpus s'étalant sur une période assez courte (années 1990-2010), il s'agit d'hypothèses à partir d'une observation synchronique. Selon nous, l'évolution de ce terme se fait en plusieurs étapes. Dans un premier temps, le terme \emph{genre} existe en tant que nom mais présente des caractéristiques syntaxiques et sémantiques un peu particulières, sans doute propices à un changement linguistique. Il s'apparente alors à ce que Blanche-Benveniste et al. appellent~« verrues nominales » (1990 : 110) : il s'agit de structures dans lesquelles des noms comme \emph{espèce}, \emph{genre} et \emph{sorte} sont des éléments qui « se surajoutent sur le lexique nominal, une fois que celui-ci est développé », c'est-à-dire que le contenu lexical principal est assumé par le nom qui suit \emph{genre}. C'est le cas dans des exemples comme (2), que nous analyserons. ~ Dans un second temps, ce mot apparaît également dans des locutions figées \emph{dans le genre} et \emph{du genre} où ses propriétés nominales s'affaiblissent. \emph{(5) Dans le \textbf{genre} pénible, il est champion (écrit, Orsenna, Le Petit Robert, 2010)} \emph{(6) y a eu à Pontoi- rue de Pontoise aussi + mais alors qui est aussi hors de prix + parce que ils font + aussi euh + truc \textbf{du genre} euh + gymnase club quoi (oral, CFPP, 05-01)} Ces locutions constituent selon nous une deuxième étape de la grammaticalisation de \emph{genre}. Elles sont appelées « locutions prépositionnelles » par Danon-Boileau et Morel (1997), de même que par Rosier (2000, 2002), ce qui suppose que ces ensembles se comportent syntaxiquement comme une préposition. Enfin, il apparaît seul et ne présente alors plus aucune caractéristique nominale : \emph{(7) est-ce que vous avez d'autres livres \textbf{genre} euh art d'écrire ou de parler art de savoir-vivre ? (B,oral, ESLO1)} Après avoir rapidement défini ce que l'on entend par grammaticalisation, nous verrons tout d'abord en quoi \emph{genre} est un bon candidat à ce type de changement. A partir de l'observation du mot \emph{genre} dans des corpus de français parlé, nous proposerons un schéma d'évolution de ce terme, en observant ses emplois de nom standard, puis en démontrant que le nom \emph{genre} peut présenter déjà des caractéristiques syntaxiques particulières, en nous intéressant ensuite à ses emplois dans des locutions figées comme \emph{dans le genre}, \emph{du genre}, et enfin en envisageant le passage à ses emplois entant que marqueur. \textbf{Bibliographie indicative} BLANCHE-BENVENISTE , Claire et al., 1990, \emph{Le Français parlé : Etudes grammaticales}, Paris :CNRS. BLANCHE-BENVENISTE , Claire, MARTIN , Philippe, 2010, \emph{Le français -- Usages de la langue parlée}, Paris, Louvain : Peeters. DANON-BOILEAU, Laurent, MOREL, Mary-Annick, 1997, « \emph{Question, point de vue, genre, style} : les noms prépositionnels en français contemporain », Faits de langue n°9, 192-200. DOSTIE, Gaétane, 2004, \emph{Pragmaticalisation et marqueurs discursifs. Analyse sémantique et traitement lexicographique}, Bruxelles : De Boeck Duculot. LABRECQUE, Nicole, DOSTIE, Gaétane, 1996, « \emph{Cas, exemple, façon, manière} : des cas exemplaires de polysémie », in Khadiyatoulah FALL , Jean-Marcel LÉARD , Paul SIBLOT (éds.),\emph{Polysémie et construction du sens}, Montpellier : Praxiling, 171-180. MARCHELLO-NIZIA, Christiane, 2006, \emph{Grammaticalisation et changement linguistique}. Bruxelles : De Boeck Duculot. ROSIER, Laurence, 2000, « Les petits ``rapporteurs'' de discours », in Paulo de CARVALHO,Laurence LABRUNE (éds.), \emph{Grammaticalisation 1. 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Antonin BRUNET~: \textbf{Plaidoyer pour l'enseignement des marqueurs discursifs en classe de FLE } \textbf{Un outil indispensable pour les apprenants de niveau avancé.} Antonin Brunet - FoReLLIS (EA3816) - Université de Poitiers Dans les ouvrages de description de la langue tels que les grammaires ou les dictionnaires, on constate que les marqueurs discursifs (MD) ne sont pas reconnus en tant que catégorie spécifique (Paillard \& Ngan, 2012). Si ces derniers ont certes fait l'objet d'un intérêt grandissant depuis les années 80 du côté de la recherche, ils ont également fait l'objet d'appellations (particules énonciatives / discursives, ponctuants, connecteurs, mots du discours, marqueurs pragmatiques...) et de descriptions variées qui ont en partie eu pour effet d'entretenir un flou non seulement autour de leur définition mais également autour de leur(s) utilité(s) (Delahaie, 2011; Dostie \& Pusch, 2007). Selon nous, ce constat est directement lié à l'aspect historique de l'institutionnalisation de la langue française où l'écrit a longtemps été « le seul lieu de réflexion métalinguistique » (Delahaie, 2008) et le seul repère pour l'établissement de la norme. Nous pensons que cet écart à la norme écrite engendre certaines incompréhensions autour des MD, qui peuvent être boudés de certains locuteurs qui les considèrent comme trop peu formels, vides de sens ou même parasites lorsque ceux-ci vont jusqu'à relever du « tic de langage » (Bouchard, 2002). Pour autant, il est impossible de nier que ces derniers sont omniprésents dans l'usage et il nous semble bien peu probable que les usagers d'une langue puissent autant avoir recours à une unité qui serait vide de sens. C'est pourquoi d'après Dostie \& Pusch (2007), pour comprendre concrètement les MD et leurs utilités, il faut les étudier dans un autre contexte : celui de la langue orale, où le discours se construit de manière plus spontanée et sous l'influence de la présence d'un interlocuteur. Sur le plan didactique, les mêmes constats s'opèrent. Les outils pédagogiques ne proposent pas un enseignement des MD en tant que catégorie spécifique, les commentaires liés à leurs utilités sont succincts et très généraux et ils sont souvent proposés sous forme de listes (comprenant également des mots d'autres natures) qui ne permettent qu'une appropriation très partielle et limitée (Paillard \& Ngan, 2012; Delahaie, 2011). Ainsi, du fait des constats présentés ci-dessus et de cette représentation timide dans les outils pédagogiques, nous pensons que la plupart des enseignants de FLE ne se représentent pas les MD comme un objet d'enseignement non seulement légitime mais également utile pour les apprenants. Lors de cette communication, nous envisageons d'étudier l'utilité sémantique des MD à l'aide du corpus AvEx-FLE constitué au laboratoire FoReLLIS dans le cadre de notre thèse de doctorat. En reprenant notre corpus de référence constitué de productions orales continues (de type argumentatif) de locuteurs natifs francophones, nous mènerons des analyses qualitatives sur l'emploi de plusieurs MD (après, enfin, donc, en fait...) par ces locuteurs et dégagerons leurs différentes utilités sémantiques notamment en ce qui concerne leur participation dans la construction de la cohérence et de la cohésion du discours. Nous espérons ainsi démontrer non seulement que les locuteurs natifs en ont une utilité raisonnée et sémantiquement constructive, mais également que ce sémantisme justifie l'enseignement des MD en classe de FLE notamment pour les apprenants de niveau avancé qui sont régulièrement amenés à construire des productions similaires. DELAHAIE. J. 2008. \emph{Français parlés et français enseignés. Analyses linguistiques et didactiques de discours de natifs, de non-natifs et d'enseignants.} Université de Nanterre -Paris X, 2008. Français. \textless{}tel-00787789\textgreater{} DELAHAIE. J. 2011. « Les marqueurs discursifs, un objet d'enseignement pertinent pour les étudiants Erasmus? » \emph{in Études de Linguistique Appliquée} \emph{n°162}. pp 153-163. DOSTIE. G \& PUSCH. C. D. 2007. « Présentation. Les marqueurs discursifs. Sens et variations. » \emph{in Langue Française n° 154}. pp. 3-12 PAILLARD. D \& NGAN. V. T. (dir.). 2012. \emph{Inventaire raisonné des marqueurs discursifs du français. Description. Comparaison. Didactique.} Éditions de l'Université nationale de Hanoï: Vietnam Laurie DEKHISSI, Efi LAMPROU \textbf{Analyse contrastive des marqueurs discursifs dans le discours argumentatif de natifs et non natifs. Analyse sur corpus. } La syntaxe de l'écrit et de l'oral ne peut pas être mise en opposition de façon caricaturale (Cappeau, 2005) bien que des différences soient à noter lorsqu'on étudie de courts extraits de genre variés.Des phénomènes tels que le recours à la forme courte de la négation et aux dislocations sont bien connus à l'oral (Blanche-Benveniste, 1997) alors que l'écrit bannit ces formes, contraint par la norme du « bon usage ». Dans cette communication, nous nous intéresserons aux marqueurs discursifs (MD), marqueurs structurants du discours qui assurent la cohésion et la cohérence soit au sein d'un tour de parole soit à la jonction de deux tours de parole(Traverso, 1999). A partir d'un corpus de productions argumentatives monologales de locuteurs natifs et allophones de niveau avancé nous analyserons l'emploi des marqueurs discursifs dans ce type de production. Nos hypothèses de départ sont les suivantes : 1) Les locuteurs natifs n'utilisent pas les mêmes marqueurs discursifs que les apprenants allophones à l'oral (Delahaie,2011) 2) Les allophones utilisent plutôt les marqueurs discursifs de l'écrit,mais pas ceux de l'oral dû au genre argumentatif qui rappelle la dissertation et le poids de la norme (Rançon et Dekhissi, 2017). En effet, les apprenants de FLE vivant en France depuis un certain temps se familiarisent rapidement avec le français parlé dont les normes diffèrent de celle(s) de l'écrit selon le contexte. Ils prennent conscience de cette distinction oral/écrit mais sont souvent incapables par la suite de distinguer ce qui relève de l'un ou de l'autre en situation académique. Ainsi, nous examinerons si les marqueurs discursifs présents dans les productions relèvent plutôt de l'écrit ou de l'oral et s'ils ont les mêmes fonctions communicatives en fonction du type de locuteurs (natifs ou non natifs). Blanche-Benveniste C. 1997."La notion de variation syntaxique dans la langue parlée", \emph{Langue française} 115, La variation en syntaxe, pp.19-29 Cappeau, P. 2005. « Construire une problématique de l'oral », Séminaire doctoral de Sciences du langage organisé par Françoise Gadet Université de Paris X - Nanterre Delahaie, J.2011. Transposition didactique de l'inventaire raisonné des marqueurs discursifs du français. \emph{Agence universitaire de la francophonie}, 2011. Rançon, J et Dekhissi, L.2017. La dissertation générale. Un objet d'enseignement pertinent pour les apprenants ERASMUS ? \emph{Le Langage et l'Homme}, Cortil-Wodon : EME Traverso, V.1999. L'analyse des conversations, Paris, Nathan, coll. Linguistique 128, n° 226